• Qu'un seul tienne et les autres suivront

    La prison est un mur, et il n'est pas simple, lorsqu'on est dehors, d'avoir accès au dedans. Le titre du premier film de Léa Fehner induit une dignité, celle des proches de détenus. Tenir debout : tel est le mot d'ordre de ses personnages, dotés d'une force que la jeune femme du prologue n'a pas - elle craque à l'entrée d'un parloir, implorant une aide qui ne vient pas. Les trois autres, dont on suit la trajectoire, se débattent dans le silence.

    Il y a Laure, une jeune bourgeoise, garçon manqué, jouant au foot, draguée par Alexandre, brave banlieusard en révolte. Une idylle naît, Laure est amoureuse, tombe enceinte, mais Alexandre fait une connerie et se retrouve derrière les barreaux. Un drame pire pour elle que pour lui. Elle a caché son histoire à ses parents, elle est mineure donc interdite de visite, sauf accompagnée...

    Il y a Zohra, une Algérienne dont le fils a été assassiné, et qui, au tréfonds de son chagrin, cherche à comprendre, découvre l'homosexualité de son gamin, et conquiert l'amitié de la soeur du criminel afin de pouvoir approcher celui-ci, interroger l'homme qui a anéanti sa vie.

    Il y a Stéphane, tiraillé entre une mère asphyxiante et une copine dominatrice, qui finit par le quitter. Stéphane court après lui-même. Sa brutalité est une carapace, il est en miettes. On lui propose contre argent de prendre la place d'un voyou incarcéré dont il est le sosie. Ce qui provoque un drame de conscience et nécessite d'humiliantes répétitions.

    Qu'un seul tienne et les autres suivront est un film pensé. Les fils n'y sont pas invisibles. Le dénouement, qui voit les personnages des trois récits se rejoindre dans le parloir, zone symbolique, peut sembler théâtral. On ne croit qu'à moitié à l'épisode Zohra ; la dialectique de cette Mère Courage laisse perplexe, en partie à cause du déficit d'émotion qu'elle suscite.

    Ce n'est pas le cas des deux autres histoires, grâce aux comédiens. Propulsé dans Je suis heureux que ma mère soit vivante, de Claude et Nathan Miller, et A l'origine, de Xavier Giannoli, Vincent Rottiers, attachant petit voyou, est très crédible. Sa partenaire, Pauline Etienne, est touchante. Avec sa gueule cassée de Gitan prêt à péter les plombs, mais à l'âme d'enfant, Reda Kateb a de la présence. Et le talent de sa jeune complice, la Russe Dinara Droukarova, n'est plus à démontrer.

    Ces quatre acteurs séduisent si bien la caméra que le film dépasse son concept et réussit à incarner une intrigue tissée sur le double, la ressemblance, la permutation des situations.

    Film français de Léa Fehner avec Vincent Rottiers, Pauline Etienne. (2 heures.)


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  • Sommeil trompeur (Libération)

    Avec «Inception», Christopher Nolan enfonce l’action dans un labyrinthe de rêves. Par DIDIER PÉRON

    Inception de Christopher Nolan avec Leonardo DiCaprio, Joseph Gordon-Levitt, Cillian Murphy, Marion Cotillard, Ken Watanabe… 2 h 28.

    La Warner ne peut que se féliciter d’avoir l’Anglais Christopher Nolan dans son écurie de cinéastes chromés, surtout depuis le milliard de recettes dépassé l’été 2008 par The Dark Knight, avec Heath Ledger en Joker psychotique. On imagine assez bien la réunion pour la mise en route d’Inception où, bien que personne, en dépit d’efforts méritoires, n’ait probablement compris de quoi il retournait, la carte blanche et le mégabudget - on parle de 160 millions de dollars (124 millions d’euros) - furent, comme prévu, votés dans la joie et la bonne humeur. Le démarrage en trombe du film au box-office américain et l’énorme attente qu’il suscite en France et ailleurs laissent à penser que personne ne devrait s’en mordre les doigts.

    Névroses. Inception part du principe qu’il est possible de fabriquer une scène d’action non plus sur la terre ferme (ou dans le cosmos) mais dans un espace onirique collectivisé. Ne nous demandez pas comment ça marche, le film lui-même est plutôt elliptique sur ce point malgré des plans furtifs sur une bécane ressemblant vaguement à une Playstation (ou un appareil de dialyse) avec des tuyaux que les personnages s’enfoncent dans les veines avant de sombrer en catalepsie. eXistenZ de Cronenberg avait déjà expérimenté cette idée. L’équipe entourant Cobb (DiCaprio), un staff directement inspiré par celui de la série Mission impossible, fait profession de voler les secrets de leurs victimes pendant leur sommeil, pratiquant, si l’on veut, une nouvelle forme d’espionnage industriel sur l’oreiller mais sans séduction et sans sexe. Un magnat japonais perfide, Saito (Ken Watanabe), leur demande d’inverser le processus et d’enfoncer bien profond une idée dans le cerveau de Fisher, un jeune multimilliardaire (Cillian Murphy). Saito veut tout simplement que Fisher décide de démembrer l’entreprise paternelle qui, par sa vocation hégémonique, menace directement ses intérêts.

    Pour ça, il faut à Cobb mobiliser des ressources psychiques supercomplexes à trois (ou quatre ?) niveaux, le rêve dans le rêve dans le rêve («a dream within a dream, etc.»). D’autant que le subconscient de Fisher est bien armé, en l’occurrence d’hommes à grosses mitraillettes roulant en Hummer qui gardent jalousement son intégrité affective et ses névroses de fils mal aimé.

    Plus on s’enfonce, et plus on s’avance en zone belliqueuse jusqu’à une sorte de Fort Knox-hôpital dans la neige, qui est aussi le coffre-fort ultime qu’il faut forcer pour y introduire la mauvaise graine de la dilapidation du capital affectif et financier.

    Inutile de paniquer, tout le monde est largué mais, dans le film, les personnages édictent doctement les froids principes du scénario comme si tout ça était parfaitement naturel et limpide. Il y a, en définitive, une dimension comique dans Inception (bien que l’humour soit un ingrédient strictement proscrit par Nolan depuis son premier long, Mémento), qui tient précisément à la manière dont l’équipe de Cobb s’active selon un timing précis à une tâche qui ne semble rien moins qu’improbable dans ses causes, son processus et ses effets.

    La phrase d’Hitchcock «il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver» illustre bien le trajet inverse de Nolan dans son délire : on démarre fort sur une dislocation assez époustouflante des traditionnelles scènes d’exposition et on termine en blockbuster plutôt balisé, entre John Woo et James Bond.

    On ne connaît pas, par ailleurs, le genre de farine que Nolan sniffe avant de se mettre au lit mais ce n’est pas de la valériane pilée. L’idée qu’il se fait du rêve, avec ses bastons, fusillades et écroulements de décors gigantesques sonorisés par le compositeur Hans Zimmer, qui ferait passer Wagner pour un timide claveciniste, sent la schnouff colombienne à dix kilomètres. DiCaprio lui-même, le meilleur acteur de sa génération sans discussion possible, n’a pas l’air dans son état normal. Comme l’écrit de manière hilarante Andrew O’Hehir dans son excellente critique sur le site Salon.com, on a l’impression qu’il a «un dysfonctionnement caractérisé des glandes sudoripares et un besoin pressant de trouver les toilettes les plus proches». Quant à notre Marion Cotillard nationale, comme d’habitude incroyablement sexy et mystérieuse, Nolan n’a rien trouvé de mieux que l’enfermer à double tour dans une cellule annexe en sous-sol et, pour la narguer, passer en boucle le tube de Piaf : «Non, je ne regrette rien».

    Autoportrait. Alors, bien sûr, on ne passe pas un mauvais moment à regarder Inception et ce n’est pas l’objet de cet article de décourager qui que ce soit de le voir (ce serait d’ailleurs peine perdue, tout le monde crève d’envie d’y aller), mais il y a juste une disproportion flagrante entre l’ambition affichée et l’imaginaire visuel souvent convenu qu’elle déclenche tous azimuts.

    Quand, parfois, les personnages consentent à se taire ou à tirer à vue, l’action pure peut se déployer en superbes chorégraphies - la séquence centrale en apesanteur dans les couloirs d’un palace avec l’excellent Joseph Gordon Levitt - (lire ci-contre ), stases et chutes, jouant de changements de vitesse et d’implosions formelles (la balade dans Paris avec l’architecte Ariane, jouée par Ellen Page).

    Le film peut s’analyser comme une sorte d’autoportrait de Nolan en démiurge (il ressemble d’ailleurs légèrement à DiCaprio) inventeur de mondes et nageur fluidique à l’intérieur des consciences de masse. On ne le sent pas guetté par la modestie. Nolan, désormais quasiment aussi puissant à Hollywood qu’un James Cameron, s’active déjà à un nouvel épisode de Batman qu’il doit réaliser tandis qu’il supervise en tant que coscénariste et producteur The Man of Steel, un nouveau Superman.


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  • Frears revient à la comédie avec un film enjoué adapté d’une trépidante bande dessinée

    Dans une Angleterre pastorale et de carte postale, celle des cottages bien entretenus et des haies taillées au cordeau, un auteur de polars à succès et sa femme dévouée accueillent dans leur ferme des écrivains en résidence.

    La petite communauté vivote gentiment, entre jalousies mesquines et ambitions déçues, jusqu’à l’arrivée de Tamara Drewe.

    Originaire du village voisin, cette jeune et belle journaliste installée à Londres revient dans sa maison de famille et va involontairement semer la pagaille dans des existences trop tranquilles pour être tout à fait honnêtes.

    Tel était le scénario du superbe roman graphique de l’auteur britannique Posy Simmonds, tel est celui de son adaptation, extrêmement fidèle, par Stephen Frears.

    La force du livre de Posy Simmonds était de décrire à la perfection ses contemporains et, avec une précision toute naturaliste, leurs petits travers, leurs désillusions, leurs espoirs. Grâce à des dialogues percutants et ironiques, elle restituait des attitudes justes et l’atmosphère de notre époque.

    Stephen Frears a parfaitement compris que les fils comiques et dramatiques du récit devaient tout à ces échanges à la fois caustiques et naturels. Il multiplie lui aussi les petites phrases qui font mouche, ce qui lui permet de rendre intéressants et attachants des personnages pourtant stéréotypés – un écrivain star qui cède à la facilité et s’entoure d’une cour de flagorneurs, un batteur de rock imbu de lui-même, un universitaire américain en pleine angoisse de la page blanche…

    Le réalisateur anglais transpose magistralement un des principaux charmes du livre, les personnages de deux adolescentes désœuvrées et rebelles, qui pimentent l’action et bouleversent le cours de l’histoire en précipitant les catastrophes.

    Ces chipies bavardes et fantasques, lectrices assidues de magazines people et passionnées par la vie sexuelle de leurs rock-stars préférées, sont plus vraies que nature. Leurs apparitions, toniques, contrastent avec les scènes bucoliques ou d’intrigues amoureuses de ce vaudeville campagnard. Elles finissent même par voler la vedette à Tamara Drewe, héroïne un peu désincarnée à force d’être trop jolie et sophistiquée pour l’endroit.

    Respectant à la virgule près l’esprit et la lettre de l’album, Stephen Frears reprend également à son compte les trucs et astuces de Posy Simmonds, par exemple son ingénieuse utilisation des nouvelles technologies. Et le recours de rigueur aux mails et aux SMS, généralement manié assez maladroitement au cinéma, est ici habilement intégré dans le récit, devenant source de drôlerie et de quipropos.

    Avec son enchaînement continuel de péripéties, de rebondissements cocasses, de dialogues acérés et de tranches de vie quotidienne, Tamara Drewe, féroce et malicieux, a le charme d’une comédie de Woody Allen et l’efficacité impeccable d’une série de la BBC.

    Avec son précédent film, Chéri, contemplative et lénifiante adaptation de Colette, Stephen Frears avait réussi à faire oublier qu’il était capable de réaliser des comédies enjouées et irrésistibles (High Fidelity). Avec ce ballet drôle, léger et trépidant, il se rattrape ici allègrement.

     lesinrocks

    Des paysages idylliques, un soleil radieux : pour un peu, la campagne du Dorset amoureusement cadrée par Stephen Frears aurait des allures de Toscane. Mais avec un réalisateur aussi filou, il ne faut jamais se fier aux apparences : les prés au charme bucolique vont accueillir un vaudeville féroce où tous les protagonistes s'espionnent, s'envient, se mentent.

    Tamara Drewe est l'adaptation d'une bande dessinée de Posy Simmonds, elle-même pastiche d'un grand classique de la littérature anglaise, Loin de la foule déchaînée. Signe des temps, l'héroïne idéaliste de Thomas Hardy s'est transformée en chroniqueuse pour The Independent. Avec son mini-short, son débardeur moulant et son nez refait, Tamara (la bombe Gemma Arterton) met le feu à son village natal. Un beau jardinier, un batteur de rock pour minettes, un romancier volage : tous les hommes succombent... et en prennent pour leur grade. En grande forme satirique, Frears épingle autant les ruraux intolérants que les précieux ridicules venus de la ville. Avec des piques particulièrement vachardes, et drôles, pour les écrivains, décrits comme des inadaptés égocentriques et mesquins.

    Ce théâtre des vanités est commenté, façon choeur antique, par deux adolescentes au langage cru (Jessica Barden et Charlotte Christie, révélations d'un casting impeccable). Spectatrices dans le premier acte, Jody et Casey vont devenir des deus ex machina dépassés par leurs initiatives : une belle trouvaille de scénario qui relance le film au moment où le jeu de massacre menaçait de tourner en rond. Les personnages dépassent, alors, leur propre caricature - même le rocker bas du front parvient à se montrer fin psychologue ! Et la comédie de moeurs se diversifie tous azimuts : des poursuites dignes d'un cartoon de Tex Avery, un soupçon de mélo et même... un pastiche de western, quand Frears filme un troupeau de vaches en furie comme une charge de bisons dans Danse avec les loups. Ultime pirouette d'un film stimulant de bout en bout.

    Télérama, Samuel Douhaire, 17 juillet 2010  


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