• Nucléaire: le débat

    Est-ce indécent de demander un débat public sur la sortie du nucléaire ?

    Parce que nous ne faisons que répéter ce que nous disons depuis trente-cinq ans sur les dangers du nucléaire, au moment où le Japon connaît l'une des plus grandes tragédies de son histoire, nous sommes aussitôt taxés d'indécence. Alors que la planète assiste, médusée et saisie par l'effroi, à la fin d'un monde ivre de sa puissance prométhéenne, nous devrions rester taisant. Au moment où s'effondre en direct le mythe de l'invulnérabilité sur les écrans de nos émotions mondialisées, nous devrions nous taire, parce qu'on n'insulte pas le "progrès", même quand sa cathédrale tombe en ruines. Car c'est bien cela qui est derrière les attaques aussi violentes qu'injustes dont nous sommes la cible : le progrès technique est vécu comme un dogme indiscutable par l'ensemble de la classe politique.

    Quand on l'élève au rang d'un culte, toute remise en cause, tout débat rationnel deviennent impossibles et ceux qui osent élever la voix sont aussitôt considérés comme des apostats. C'est bien ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale où ont été sifflé les orateurs d'Europe Ecologie-Les Verts, parce qu'ils osaient mettre en question ce dogme au moment où se déroule une des plus grandes tragédies de l'ère nucléaire. Ces gens-là se sont comportés comme des petits télégraphistes du lobby nucléaire, mais certainement pas comme des politiques responsables.

    Nous sommes dans la configuration que décrivait Jacques Ellul, dès 1953, dans La technique ou l'enjeu du siècle, où la démocratie n'a plus sa place puisqu'il faut croire sans poser de questions. Le "court vingtième siècle" fut celui de la boucherie de 14, d'Auschwitz et d'Hiroshima, le vingt et unième siècle sera celui de Tchernobyl et de Fukushima. La première a précipité la chute du totalitarisme soviétique, la seconde signe la fin d'un capitalisme avide et arrogant. Depuis le 11 mars, nous sommes entrés dans une autre ère, celle de la nécessaire conversion écologique de nos modes de production, de nos modes de vie et de consommation.

    Est-ce indécent de demander un débat public sur la sortie du nucléaire, maitrisée, progressive, sur vingt à vingt-cinq ans ? Est-ce indécent de proclamer notre solidarité aux victimes japonaises du tsunami mais aussi aux "liquidateurs" qui luttent courageusement contre la menace nucléaire ? Est-ce indécent d'alerter sur les conséquences à court, moyen et long terme de la catastrophe en cours ? Qu'est ce que l'indécence ? C'est ce qui, à la fois, blesse la pudeur et ce qui est contraire aux convenances et à la bienséance.

    Dans le premier cas, l'indécence est dans la façon dont le gouvernement, le président, la droite, mais aussi une grande partie de la gauche, se sont comportés en VRP d'Areva et d'EDF, "privilégiant la santé de l'industrie nucléaire à celle des Français" selon l'expression du réseau Sortir du nucléaire.

    Dans le second cas, si nous avons bousculé la convenance et la bienséance de Mesdames Lauvergeon et Kosciusko Morizet, de Messieurs Besson et Proglio et de tous les thuriféraires de la prolifération nucléaire civile et militaire, alors nous voulons bien être taxés d'indécence et nous le revendiquons.

    Quand pourrons-nous débattre du nucléaire, s'il est interdit de le faire dans l'urgence et à tout autre moment ? Alors que la centrale de Fukushima se fissure de toute part, l'industrie nucléaire française devrait-elle rester une forteresse intouchable ? Nous n'acceptons pas que la démocratie soit priée de s'arrêter aux portes d'Areva et d'EDF.

    ÉCŒUREMENT

    Ce n'est pas l'indécence, mais l'écœurement quand des politiques aveugles devant la réalité nucléaire, inventent des débats sur l'identité nationale hier, sur l'islam aujourd'hui, afin de stigmatiser des populations et de diviser les Français et refusent que l'opinion publique puisse avoir le droit au débat sur une question politique majeure, aux conséquences incalculables pour les générations futures.

    Ce n'est pas l'indécence, mais l'écœurement, devant un président qui pleure des larmes de crocodiles sur les souffrances du peuple Japonais… Tout en insinuant que la technologie française est bien meilleure que la sécurité japonaise. Pour lui, comme pour l'oligarchie nucléaire, la santé des personnes n'est qu'une variable d'ajustement. C'est en tout cas ce que laisse entendre le rapport de François Roussely qui considère que "la seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté".

    Enfin, je le dis avec une profonde tristesse : je suis écœuré par l'attitude d'une grande partie de la principale formation de la gauche, le Parti socialiste, qui fait non seulement profil bas dans cette affaire mais qui marginalise tous ceux qui en son sein s'élèvent pour dénoncer le consensus nucléaire.

    Si nous voulons être dignes du peuple japonais, si nous voulons lui rendre hommage, c'est en tentant d'éviter que se renouvelle ce qui vient de se passer ; c'est en demandant l'arrêt des centrales vieillissantes, comme celle de Tricastin, de celles installées sur des sites dangereux, comme Fessenheim, ou à proximité d'une région de douze millions d'habitants, comme Nogent ; c'est en programmant l'arrêt progressif du nucléaire, comme l'ont fait en toute sérénité nos voisins allemands, en investissant massivement dans les énergies renouvelables.

    Faute d'avoir su "penser l'impensable", qui relève de la "honte Prométhéenne", au sens que lui donnait le philosophe Günther Anders, dans L'obsolescence de l'homme, nous allons devoir apprendre l'humilité et retrouver le sens de la limitation dans notre entreprise de pillage de la planète ; parce que nous n'avons qu'un seul monde.

    Rendre justice aux victimes de Tchernobyl , à celles de Fukushima aujourd'hui et d'Hiroshima hier, c'est tout faire pour mettre un terme à une énergie dangereuse pour l'humanité et éviter ainsi la seule indécence réelle : celle des victimes de demain.


    Noël Mamère, député Europe Ecologie-Les Verts, Le Monde, 23/03/2011


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