• Merci les 35 heures!

    Le «rôle néfaste des 35 heures», un refrain sarkozyste contredit par les faits

    par Luc Peillon, Libération

    C’est devenu son antienne. L’explication récurrente à tous les maux de l’économie. Dix ans après leur entrée en vigueur, les 35 heures font figure de bouc émissaire préféré de Nicolas Sarkozy.

    Lundi soir encore, lors de l’émission Paroles de Français sur TF1, le président de la République s’interrogeait : «Pourquoi y avait-il plus de chômeurs chez nous ? Parce qu’on a fait le choix du partage du temps de travail au lieu de faire celui de la croissance.» Ce «choix des 35 heures [qui] s’est révélé catastrophique». Quitte à se contredire, puisque le même homme estimait quelques minutes plus tôt, et à juste titre, que la France avait mieux résisté que les autres sur le plan du chômage pendant la crise. En se gardant bien, cependant, d’en livrer l’explication.

    Croissance. Car si la France s’en est mieux sortie, ce n’est pas grâce aux heures supplémentaires défiscalisées - qui ont diminué -, mais en raison, notamment, de la souplesse de la RTT, qui a permis à nombre d’entreprises de faire le dos rond durant la récession. Qu’importe, «Le partage du temps de travail est une des plus grandes fumisteries qui existe sur le plan économique», répétait encore le chien de garde du Président et porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, lors d’un point presse le 19 janvier. Reste une question : pourquoi, face à une telle «catastrophe», la majorité actuelle ne vote-t-elle pas le retour aux 39 heures ? Peut-être parce que Nicolas Sarkozy, féru de sondages, sait que les salariés restent malgré tout attachés à cette mesure. Pas moins qualifiés que le Président sur le plan économique, 53% des Français estimaient même, dans une enquête BVA pour la Tribune parue le 12 janvier, que «les 35 heures ne constituent pas un handicap pour les entreprises».

    Et pour cause : les 35 heures, loin du catastrophisme distillé par une partie de la droite, sont loin d’avoir été un fiasco économique. Sur le plan de l’emploi, la Dares, le département statistique du ministère du Travail, reconnaît que les accords 35 heures ont permis de créer ou de sauvegarder près de 350 000 emplois. Le taux de chômage, aidé par la croissance, est ainsi passé de 10,8% en 1997 à 7,9% en 2002. Sur une fenêtre plus large, 1996-2005, la croissance, que Nicolas Sarkozy estime sacrifiée sur l’autel des 35 heures, a été également supérieure en France à celle des autres pays de l’Union européenne : 2,19% en moyenne annuelle durant ces dix années dans l’Hexagone, contre 2,12% en Europe ; 1,3% en Allemagne.

    Question rémunérations, la plupart des accords 35 heures ont bien été accompagnés de modération salariale. La RTT a-t-elle pour autant contribué à la baisse des revenus des Français ? Non, estime l’Insee, dont les études montrent au contraire que le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a jamais été aussi dynamique ces douze dernières années que pendant la période 1998-2002, où il a connu une progression comprise entre 2,5% et 2,8%. C’est n’est qu’à partir de 2003 qu’il s’est mis à ralentir (+ 0,2%), pour ne remonter qu’en 2007 (+ 2,4%) avant de s’écrouler, crise oblige, en 2008.

    Question compétitivité, la RTT semble avoir été mise en place avec assez de contreparties en faveur des employeurs pour ne pas avoir affecté les entreprises. D’après les travaux des chercheurs Crépon, Leclair et Roux (2004), la réduction du temps de travail auraient conduit «à de faibles pertes de "productivité globale des facteurs" dans les entreprises passées à 35 heures». Les premières à avoir réduit leur temps de travail ont même vu leur valeur ajoutée croître de 5% de plus que les entreprises restées à 39 heures. Au final, et compte tenu des gains de productivité, des réorganisations de la production et des aides de l’Etat, la RTT aurait été neutre sur la productivité capitalistique.

    «Extraordinaire». Dernière critique, que Nicolas Sarkozy a encore ressortie lors de ses vœux aux forces économiques, le 6 janvier : «Le problème extraordinaire des 35 heures, c’est que nous avons été les seuls à utiliser cette politique.» Qu’elle ait été générale, à l’image de la France ; négociée dans certaines branches, comme en Allemagne ou réalisée au fil de l’eau comme dans d’autres pays, la réduction du temps de travail est loin d’être une exclusivité française. Historiquement commune à tous les pays riches depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la baisse du temps travaillé a été, depuis 1950, de plus de 500 heures pas an et par salarié en Grande-Bretagne, de 600 heures en Italie, de 671 heures en France ou encore de 938 heures en Allemagne. Résultat : si les Britanniques travaillaient, en 2007, 1 607 heures annuellement contre 1 559 heures pour les Français, les Allemands travaillaient encore moins, avec 1 432 heures annuelles. Quant aux Hollandais, dont le modèle est souvent cité en exemple, ils n’œuvraient que 1 413 heures.


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