• Guerre et nucléaire civil

    Le nucléaire civil impliquerait des risques très accrus en temps de guerre

    La catastrophe de Fukushima, au Japon, repose le problème de la sûreté des centrales nucléaires : la surprise qu'a occasionnée la concomitance de deux événements jusqu'ici pensés séparément (tremblement de terre et inondation) montre que la réalité a une nouvelle fois dépassé l'imagination des ingénieurs et experts chargés de la prévention des risques.

    Des débats publics à l'échelle nationale et même internationale ne seraient-ils pas alors bienvenus pour à la fois aider à déterminer plus exhaustivement les risques du nucléaire civil et à assumer plus collectivement qu'à l'heure actuelle la responsabilité de prendre tel ou tel risque, au lieu de la laisser aux seules mains des politiques ? Encore faudrait-il que les opinions publiques soient d'emblée suffisamment informées pour que déploie une véritable réflexion collective. Or, si les médias font régulièrement écho aux risques de séismes ou d'inondation, en revanche les risques liés à des pannes, à des erreurs humaines ou à des attentats demeurent encore aujourd'hui peu abordés. Et surtout persiste un complet silence sur un risque dont la dangerosité paraît des plus élevées : la guerre.

    En effet, si une guerre éclate sur le territoire d'un pays équipé de centrales nucléaires, elle rend beaucoup plus probable la survenue d'avaries dans ces installations tout en en aggravant les conséquences pour les populations.

    LA GUERRE COMME FACTEUR AGGRAVANT

    La gravité d'une avarie dans une centrale nucléaire ne se mesure pas au seul examen des produits qu'elle laisse échapper, mais aussi au regard des capacités dont disposent les équipes de la centrale et, plus globalement, le pays tout entier pour en limiter les répercussions sanitaires, économiques, sociales et politiques.

    Or, l'organisation d'un pays se voit perturbée lorsque le théâtre de la guerre s'invite sur son territoire. Les pertes en ressources humaines, matérielles, financières, territoriales…, qu'elle occasionne restreignent les capacités auxquelles, en temps de paix, le pays était accoutumé pour faire face à des événements l'affectant. Ainsi, la survenue d'une avarie dans une centrale nucléaire sera rendue d'autant plus menaçante que les moyens pour la réparer et ceux déployés pour protéger les populations seront amoindris par la situation de guerre. Le bilan sanitaire consécutif aux contaminations radioactives en sortira immanquablement alourdi.

    LA GUERRE COMME CAUSE D'AVARIES DANS LES CENTRALES NUCLÉAIRES

    Par ailleurs, une guerre accroît la probabilité que se produisent des avaries dans les centrales nucléaires du pays.

    En effet, selon la logique de guerre, une puissance ennemie n'aura pas pour seules cibles les sites et forces militaires du pays adverse, mais s'évertuera à détériorer son appareil de production pour diminuer son potentiel de résistance, voire le paralyser économiquement et ainsi le faire capituler. Un des moyens pour y parvenir consisterait notamment à mettre hors service ses centrales nucléaires qui alimentent en électricité les industries, les moyens de télécommunication (téléphone, ordinateurs, médias…) et la plupart des équipements indispensables à la vie du pays et des populations.

    La puissance ennemie ferait alors coup double : les avaries, qu'elle aura provoquées dans les centrales nucléaires à l'aide de sabotages, d'attentats et de bombardements par avions ou missiles, engendreront très vraisemblablement une profonde inquiétude parmi les populations. Spontanément ou suite à un ordre d'évacuation, des milliers, voire des millions de personnes seraient alors incitées à émigrer vers des régions supposées épargnées par la radioactivité. Ces mouvements massifs de population ne manqueraient pas d'accentuer la désorganisation du pays, donc de l'affaiblir encore davantage. D'autant plus que, pendant des dizaines d'années, son territoire sera amputé des zones contaminées.

    Par conséquent, un pays, qui aura érigé un grand parc de centrales nucléaires pour assurer l'essentiel de sa production électrique, prend un risque très élevé de subir en cas de guerre d'importantes pollutions radioactives, ce qui pourrait jouer en sa défaveur dans l'issue de cette guerre. Par exemple, la France, dont une part considérable de son électricité est produite par le nucléaire civil (près de 80 % de l'électricité), offrirait dans l'hypothèse d'une guerre un point de vulnérabilité à l'ennemi ayant peu ou pas de centrales nucléaires sur son territoire – grâce, entre autres, à une diversification plus affirmée de ses modes de production électrique (centrales thermiques et énergies hydraulique, éolienne, solaire, géothermique…). Ce pays pourrait bombarder les centrales nucléaires françaises sans craindre autant les effets d'une réplique similaire sur son propre territoire.

    Finalement la question qui se pose est celle du niveau de risque qu'advienne une guerre sur le territoire français (ou d'autres pays également fortement dotés de centrales nucléaires). Depuis 1945, la France connaît la paix – si l'on fait toutefois abstraction des guerres d'Indochine et d'Algérie… Pareille période de paix est plutôt exceptionnelle au regard de sa longue histoire (et de celle de bien d'autres pays) parsemée de conflits guerriers : plusieurs guerres par siècle ! La possibilité d'une guerre dans un futur proche n'est donc pas à écarter, notamment dans la perspective où la raréfaction accélérée des ressources nécessaires aux sociétés industrielles (pétrole, gaz, minerais…) viendrait à raidir les relations internationales.

    Par conséquent, s'il a lieu, un débat public sur la sûreté nucléaire et sur la pertinence de relancer un programme nucléaire civil en France pour les cinquante prochaines années, ne pourra se focaliser sur les seuls risques naturels, d'erreurs humaines ou d'attentats (par un groupe isolé), mais également prendre en compte les risques qu'entraînent et ou amplifient une situation de guerre.

    Pierre Jacquiot, Le Monde, 29/04/2011


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