• Crise sociale

    Sur liberation.fr, un article de Terra Nova:

    Elle était annoncée et redoutée. Avec une chute historique de la production de 2,9% en 2009, la crise économique ne pouvait que déboucher sur des turbulences sociales. C’est fait : la crise sociale est là.

    L’Insee affiche certes une légère hausse du pouvoir d’achat en 2009. Ceux qui ont conservé leur emploi - fort heureusement, la grande majorité des Français - bénéficient en effet d’une amélioration de leur niveau de vie, entre disparition de l’inflation et renforcement des dépenses publiques. Mais, à l’inverse, les victimes de la crise vont subir une dégradation de leur pouvoir d’achat. Elles se comptent déjà en millions en ce début 2010 - et le pire est encore à venir.

    Les premières victimes, ce sont d’abord les salariés qui perdent leur emploi. Plus de 400 000 postes de travail ont été détruits en un an. L’emploi industriel, qui s’érodait régulièrement ces dernières années, a connu une hémorragie : près de 10% des postes industriels supprimés ! 2009, ou la fin de l’industrie française ? L’emploi plonge également dans le bâtiment mais aussi, une première, dans les services, notamment dans le commerce de détail et l’hôtellerie-restauration. Comme quoi, la baisse de la TVA sur la restauration, malgré son coût prohibitif (3 milliards d’euros par an), n’aura pas eu les effets escomptés. Ironiquement, dans ce paysage de désolation, les embauches par des particuliers employeurs continuent d’augmenter. On sera heureux de l’apprendre : il n’y a pas de crise dans la domesticité…

    On pouvait espérer que la hausse du chômage serait malgré tout amortie avec le papy-boom en cours. De fait, depuis 2007, c’est là aussi une première historique, la population en âge de travailler diminue : 120 000 personnes en moins en 2009. Un autre mécanisme - statistique - joue également le rôle d’amortisseur : ce que les économistes appellent «l’effet de flexion», la sortie du marché du travail de demandeurs d’emplois qui se découragent.

    Pourtant, la hausse du chômage a été supérieure à la destruction des emplois. Cela s’explique par le taux d’activité des femmes, qui continue de croître malgré la crise, poursuivant une tendance historique. Cela s’explique aussi par un phénomène nouveau : l’augmentation du taux d’activité des seniors (55-64 ans), de 42% en 2003 à près de 45% aujourd’hui. Il est le résultat des politiques menées pour résoudre l’impasse des retraites, via le report progressif de l’âge réel de départ à la retraite. Il a pour effet collatéral d’évincer les jeunes actifs entrants : le chômage des moins de 25 ans a bondi de 35% en 2009. La crise met ainsi en exergue un véritable conflit de générations sur le marché du travail.

    Au total, on compte aujourd’hui 3,8 millions de chômeurs, soit 500 000 de plus en un an. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale la société française n’avait été confrontée à une montée aussi brutale du chômage. Et elle ne va pas s’arrêter là. La dégradation de l’emploi ne reflète pas entièrement celle de l’activité. En témoigne la productivité du travail, qui a fortement chuté en 2009 : les salariés encore en poste ont une activité réduite. En d’autres termes, les entreprises sont en sureffectif. Il y a autour de 500 000 emplois «en trop».

    Cette résistance de l’emploi est due notamment à la protection du droit du travail français. L’emploi précaire (CDD, intérim) a certes encaissé à plein la violence de la crise. Mais l’emploi stable (CDI) a résisté, accentuant encore le dualisme du marché du travail français : le coût et les délais de mise en œuvre des plans de licenciement retardent l’ajustement social. Les entreprises ont pu jouer sur la flexibilité des RTT (merci les 35 heures !) et le dispositif aidé de chômage partiel, mais cette situation ne peut pas s’éterniser. Il faudrait une croissance de près de 3% pour résorber ces sureffectifs. Illusoire. C’est pourquoi l’Insee attend une hausse du chômage en 2010 de près de 120 000 personnes, en dépit d’une prévision de croissance de +1,4%.

    Les principales victimes de la crise sont donc ces nouveaux chômeurs. Ils toucheront les indemnités de l’assurance chômage («allocation de retour à l’emploi», ARE), ce qui représente une perte moyenne de pouvoir d’achat de l’ordre de 40%. Mais pour d’autres, les chômeurs en fin de droits, la situation va s’aggraver encore plus. Ils vont être très nombreux. Un million de «fin de droits» en 2010, soit une hausse explosive de 50% : la prévision, qu’a publiée Pôle emploi fin 2009, a fait le tour des rédactions.

    Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’Emploi, affirme que «personne n’est en fin de droits» en France. Il joue sur les mots. Les indemnités chômage ne sont pas éternelles : elles sont versées pendant une durée égale au nombre de mois travaillés au cours de la période de référence (les vingt-huit mois préalables), dans la limite de deux ans. A l’issue de cette période, le chômeur n’est plus indemnisé : il est en fin de droits au titre de l’assurance chômage. Il peut alors avoir droit aux minima sociaux : revenu de solidarité active (RSA, ex-RMI) ou allocation de solidarité spécifique (ASS). Mais les minima sociaux sont accordés en fonction des revenus du foyer. C’est pourquoi seuls 40% des fins de droits en bénéficient. Les 60% restants ne touchent rien, car ils sont «couverts» par les revenus du conjoint.

    Il y a donc bien de nombreux «fins de droits», et même une majorité, qui ne bénéficient pas de la solidarité nationale. Ils bénéficient en revanche de la solidarité familiale et, en ce sens, ils ne sont pas laissés sans revenus. Le gouvernement a également raison de souligner qu’une partie des nouveaux «fins de droits» est paradoxalement due à une meilleure couverture chômage. Depuis la dernière réforme de l’assurance chômage, en effet, il suffit d’avoir travaillé quatre mois, et non plus six, sur la période de référence, pour avoir droit à une indemnité. Cette réforme a entraîné mécaniquement une augmentation des chômeurs indemnisés de courte durée, et donc une augmentation des fins de droits.Quoi qu’il en soit, cette polémique trahit un véritable déni du plus grave problème social causé par la crise. Les fins de droits voient leur pouvoir d’achat s’effondrer. Les minima sociaux s’établissent à 454 euros par mois. Pour un actif qui a été salarié au salaire moyen français, cela représente une perte de revenus de 50% par rapport à la période de chômage indemnisé, de 70% par rapport à son revenu d’activité. Pour celui qui est couvert par le revenu du conjoint, la perte de pouvoir d’achat est de 100%. Il est impossible pour les personnes concernées de maintenir leur niveau de vie. Le risque est une dérive vers le surendettement et l’exclusion.

    Burqa : 200 cas concernés. Chômeurs et personnes en fin de droits : 1 million. Pendant que l’Elysée détourne l’attention médiatique vers des sujets aussi artificiels qu’électoralistes, le fait politique majeur de cette nouvelle année est occulté : l’arrivée de la crise sociale.


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