• Nicolas Sarkozy et ses vieux tubes

    par Daniel Schneidermann, Libération

    Revoilà donc, dans l’adversité, les vieilles recettes : l’urgence décrétée contre la burqa, les mouvements de menton sur la sécurité, la guerre aux voyous (pas les patrons, les autres), la guerre aux dealers, la menace de suppression des allocations familiales, le quadrillage des halls d’immeubles, des cages d’escaliers, la restauration en majesté de l’autorité de l’Etat.

    Comme nul n’en ignore, Nicolas Sarkozy s’est rendu en Seine-Saint-Denis et en a profité pour annoncer un tour de vis sur la sécurité. Une partie de la presse en a fait ses titres, les journaux télévisés ont montré quelques secondes du martial discours. Pourtant, deux grains de sable ont grippé le dispositif.

    Un excellent article du site du Monde (hélas non repris dans le quotidien) a rappelé que la totalité des mesures annoncées par le Président étaient déjà en œuvre, ou que l’arsenal législatif existait déjà.

    Dans chaque bus une liaison directe avec la police, de façon à pouvoir le localiser ? «Cette mesure concrète est en place sur 2 100 bus depuis 2007, et 1 932 supplémentaires sont en cours d’équipement, sur un total de 4 000 en Ile-de-France.»

    Un feu vert aux forces de police dans les halls d’immeuble touchés par la délinquance ?«On pourrait croire les halls d’immeubles sécurisés : le chef de l’Etat, alors ministre de l’Intérieur, a fait adopter, en 2003, une loi prévoyant un "délit d’occupation abusive" de ces espaces, passible de deux mois de prison ferme.»

    Désormais, la décision de suspendre les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répétitif d’un élève sera systématique ?«Une loi du 31 mars 2006 prévoit déjà la possibilité de suspendre les allocations en cas d’absences injustifiées (contrat de responsabilité parentale)», etc.

    Ce n’était encore rien. Le lendemain soir, l’éternel, l’insupportable, le très agaçant, mais l’indispensable Petit Journal de Canal +, avait replongé dans les archives vidéo de l’Elysée. Et montrait, images à l’appui, comment le fameux discours n’était qu’un copier-coller de plusieurs harangues sur le même thème par le même orateur, quelques mois ou quelques années plus tôt. Ce ne sont pas seulement les thèmes : ce sont les effets oratoires de l’acteur, qu’il reprenait ainsi comme de vieux tubes increvables, de réunion en table ronde. «Aucune commune, aucun quartier, aucun hall d’immeuble (avec accent tonique sur le "cu" de "aucune") n’échappera à l’autorité de l’Etat» (avril 2010). Le même, en mars 2009, sans nullement avoir déplacé l’accent tonique : «Aucune rue, aucune cave, aucune cage d’escalier, n’échappera», etc. Et encore deux mois plus tôt, en mars 2009 : «Aucune parcelle du territoire national, n’échappera», etc.

    Annonce-t-il en Seine-Saint-Denis, que «nous mettrons les moyens nécessaires» à cette gerbe d’initiatives ? Canal + rappelle que ces «moyens nécessaires» avaient déjà été promis en 2008. Précise-t-il que la lutte sera «sans merci» ? Ce n’est jamais que la quatrième fois, qu’est proclamée par anticipation cette absence de merci.

    Ce n’est pas une première. Nicolas Sarkozy avait déjà été pris en flagrant délit de répétition, dans un discours sur les agriculteurs. «L’agriculture a façonné nos paysages. Le mot terre a une signification française, et j’ai été élu pour défendre l’identité nationale française» : le même discours, mot pour mot, avait été prononcé deux fois, à plusieurs mois d’intervalle.

    Dans un régime de storytelling, la véritable impertinence, la plus ravageuse, c’est la mémoire. Face à cette arme-là, l’apparente vulnérabilité présidentielle pose tout de même deux questions. Comment les «spin doctors» de l’Elysée, s’il en reste en cette fin de règne anticipée, peuvent-ils s’imaginer que le procédé fonctionne encore ? Ils ne regardent pas Canal + ? Ils ne surfent pas sur Internet ? Ils ne lisent que le Figaro ? Et si eux-mêmes sont sans illusions, pourquoi envoient-ils le patron dans ces entreprises de ridiculisation à répétition ? Ils espèrent qu’il ne va pas regarder ?

    Autre question, pas moins aiguë : comment les autres journalistes peuvent-ils rendre compte sérieusement de ce déplacement, en faisant comme si ? Comme si les propositions étaient de vraies propositions, les annonces de vraies annonces, en sachant que les montages du Petit Journal vont pulvériser, sulfater, atomiser, réduire à néant, leurs comptes rendus, et donc leur crédibilité.

    En d’autres termes, le Petit Journal et le journalisme politique traditionnel (celui de l’immédiat, celui qui se passe d’archives) ne sont pas, ne peuvent pas être compatibles. C’est chimique. L’un des deux, forcément, terrassera l’autre un jour.

    Daniel Schneidermann, Libération

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  • La chaîne la plus regardée de France s'illustre une nouvelle fois par l'humanité touchante de l'un de ses programmes...

    Article de Sylvain Mouillard dans Libération:

    ll y a eu le « Y’a bon Banania » ou encore le « temps béni des colonies » de Sardou. Depuis vendredi, TF1 diffuse l’émission de télé-réalité La Ferme Célébrités en Afrique. Un programme qui « s’inscrit dans le droit fil des clichés coloniaux les plus consternants », selon Pap Ndiaye, chercheur à l’EHESS et auteur de La condition noire (Calmann-Lévy, 2008).

    Le décor

    Après la « Ferme Célébrités » de Vizan (Vaucluse), qui avait couronné Pascal Olmeta puis Jordy en 2004 et 2005, TF1 part cette année à la découverte de « l’Afrique ». Continent de près de 30 millions de kilomètres carré et 53 pays, mais néanmoins régulièrement réduit dans le programme à cet « ensemble indifférencié », note Pap Ndiaye.

    La doublette Jean-Pierre Foucault-Benjamin Castaldi rappelle parfois, depuis Paris, que l’émission a lieu en l’Afrique du Sud, dans la réserve de Zulu Nyala, située entre « Johannesbourg et Durban » (566 km tout de même). Au cœur des 1800 hectares de la réserve, une vaste bâtisse au toit de chaume, qui accueillera « seize célébrités » au cours des dix prochaines semaines.

    Pour Pap Ndiaye, l’émission véhicule un premier cliché, « l’exotisme amusant ». « Le continent africain est présenté comme un terrain de jeu exotique. L’un des présentateurs demande benoîtement : “Qu’y a-t-il de mal à partir en Afrique pour voir des animaux et rigoler un peu. (Métro, le 29 janvier 2010)” ».

    Le casting de TF1

    Le premier prime-time, vendredi, a réservé son lot de grosses ficelles : à Zulu Nyala, les « stars » sont accueillies par une haie de danseurs en pagnes, sagaies à la main, au son du tam tam. L’unité musicale est respectée à Paris, avec les mêmes intermèdes endiablés. Jean-Pierre Foucault, soucieux du détail, possède un calepin « léopard ». La quotidienne (18h15) ne déroge pas à la couleur locale : peau de zèbre au sol, images de la savane sud-africaine en fond d’écran, « Benji » se charge de l’animation.

    Des « stéréotypes » qui montrent « le continent en dehors de la civilisation, selon Pap Ndiaye. Pour faire couleur locale, les “célébrités” sont accueillies à l’entrée de la ferme par des “Africains typiques” (...). Pour le reste, il n’est pas encore question des habitants de la région, déserte et “sauvage”. La ferme est présentée comme un lieu de civilisation au milieu de nulle part. »

    Les dialogues

    Benjamin Castaldi sait synthétiser « les dangers de la brousse » : « Il y a beaucoup d’animaux : ça pique, ça gratte, ça chatouille et parfois ça mord. » C’est l’autre versant de l’imagerie traditionnelle de l’Afrique : d’un côté l’exotisme, de l’autre le danger.

    Ce sont « des stéréotypes classiquement binaires développés pendant la période coloniale : une Afrique bucolique, de beaux paysages, des indigènes joyeux, et en parallèle une Afrique des ténèbres, un exotisme dangereux, note Pap Ndiaye. On insiste lourdement sur l’inconfort et un vague danger : la chaleur, les odeurs. Ce thème revient constamment dans la bouche des animateurs et des participants : l’Afrique pue. Les animaux “qui piquent” et les maladies. Bref, l’Afrique est présentée comme dangereuse, hostile, primitive. On peut “rigoler” mais attention aux bestioles... » Arrêt sur images compile quelques répliques : « Figurez-vous que nous avons l’électricité ici à Zulu Nyala » ; « mais ce que vous n’avez pas, c’est l’odeur » ; « ça n’a pas l’air si terrible » ; « c’est sommaire ».

    L’émission est-elle raciste ?

    Non, répond Pap Ndiaye. « Je ne parlerais pas de “stéréotypes racistes” – on n’a pas encore entendu de propos qu’on pourrait qualifier ainsi – mais de stéréotypes dévalorisants d’une Afrique fantasmée(...), un continent sans histoire où l’ordre naturel règne. »

    Angela Lorente, directrice de la télé-réalité sur TF1, explique avoir voulu, « par ces temps pas évidents », proposer du « divertissement » et du « dépaysement ». Et d’assurer que cela « permet aussi d’en apprendre sur le genre humain ». Loin d’être convaincu, Pap Ndiaye rétorque que « les émissions de télé réalité peuvent évoquer le second degré pour se donner bonne conscience. Mais cela imprègne les mentalités ». Et avance qu’on « n’apprend rien de ce huis clos entre Européens, où l’Afrique n’est qu’un décor ».

    L’hebdomadaire Jeune Afrique a fustigé une « litanie de clichés éculés ». Pap Ndiaye, lui, souligne que ces clichés coloniaux sont « classiques en Europe. On se souvient notamment du discours de Sarkozy à Dakar où il parlait d’une “Afrique enchantée” ». Et de rappeler qu’en matière de stéréotypes, La Ferme Célébrités est une récidiviste : « Lors des premières éditions, certains paysans s’étaient déjà mobilisés contre le côté dévalorisant de leur profession, véhiculé par l’émission ».


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  • "La Ferme célébrités en Afrique" de la même veine que Tintin au Congo ? Un éditorial de l'hebdomadaire Jeune Afrique lance le débat et fustige "la litanie de clichés éculés sur l’Afrique dans les médias généralistes occidentaux ". Arrêt sur images a visionné l'intégralité de l'émission, et en a sélectionné les poncifs les plus savoureux.

    Pendant dix semaines, cette émission de télé-réalité proposera à 16 "célébrités" de s'occuper d'animaux sauvages dans une ferme de la réserve de Zulu Nyala en Afrique du Sud. Parmi les "célébrités" en question, on trouve le chanteur et comédien David Charvet, l'ex-Miss Paris destituée pour photos sulfureuses Kelly Bochenko et le chanteur Francky Vincent. Lors de la première émission de vendredi dernier, les clichés s'enchaînent. L'un des animateurs présents sur place s'extasie sur le raccordement de la fameuse ferme au réseau électrique, tandis que la production en fait des tonnes sur les dangers de la faune locale. A un autre moment de l'émission, l'un des deux présentateurs, Benjamin Castaldi, explique qu'un chef de village lui aurait proposé de se marier avec sa fille contre 11 vaches.

    Les seuls Africains qui apparaissent à l'écran sont des danseurs ou... les animaux de la jungle.

    (Par Guillaume Stoll et Jean-Louis Dell'Oro, arretsurimages.net )

    Pour TF1, l'Afrique ça pique

    (par Marwane Ben Yahmed, Jeune Afrique, 01/02/2010)

    Combien de temps faudra-t-il encore subir la litanie de clichés éculés sur l’Afrique dans les médias généralistes occidentaux ? Déjà si souvent réduit à son manque d’atomes crochus avec la démocratie, à sa pauvreté généralisée, à ses guerres ethniques ou à son goût prononcé pour la corruption, le continent n’a-t-il pas évolué au cours des derniers lustres pour qu’on le caricature encore, en 2010, comme une terre d’aventure hostile, peuplée de hardes d’animaux sauvages et dangereux, où la température ne descend jamais au-dessous de 45 °C et où les moustiques sont avides du sang frais des petits Blancs ?

    Quatre-vingts ans après Tintin au Congo – Hergé avait au moins l’excuse d’être, si l’on peut dire, de son époque –, la chaîne privée française TF1 (la première d’Europe) vient de relancer un programme de téléréalité qui, cette fois, flirte dangereusement avec les poncifs racistes. Son nom : « La Ferme Célébrités ». Réunir seize ersatz de sous-vedettes (si, si, c’est possible) pour les filmer 24 heures sur 24 en train de traire des vaches ou de nettoyer une écurie n’élève déjà pas particulièrement l’esprit. Mais le divertissement en question propose, à l’occasion de sa troisième édition, de quitter la campagne française pour poser ses bagages dans la réserve naturelle de Zulu Nyala, en Afrique du Sud. « ça va être chaud ! » comme l’écrit un très sérieux quotidien parisien : brousse, savane, bestioles et… maladies. Interrogés par la presse hexagonale, que cet exotisme inattendu interpelle visiblement, les deux animateurs vedettes de l’émission, que nous ne citerons pas, par charité, enchaînent les perles consternantes sans que personne n’y trouve à redire : « Entre les animaux qui piquent et la température qui dépasse 50 °C, les candidats ne vont pas être ménagés » ; « Notre rôle est de voir comment ils vont survivre en Afrique » ; « Qu’y a-t-il de mal à partir en Afrique pour voir des animaux et rigoler un peu » ; ou encore : « Les papillons ont la taille d’un deltaplane »… Angela Lorente, Madame Téléréalité chez TF1, elle, a rassemblé ses neurones pour résumer l’objectif du programme : « On va jouer sur l’hostilité, c’est ça le but en les emmenant en Afrique. Avec les animaux, on a tous les ingrédients pour faire un bon divertissement »… Fort heureusement, les concepteurs de l’émission n’ont pas songé à introduire quelques êtres humains, même pour séduire la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Sinon, nous aurions eu droit à des autochtones cannibales vêtus de peaux d’antilopes… Bref, le pire est à craindre pendant les dix semaines que va durer ce bêtisier à ciel ouvert.

    Le racisme ordinaire, qui se nourrit essentiellement de l’ignorance, avait-il besoin d’une telle publicité ?


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