• L'eau du robinet est-elle un poison ?

    Un autre trou de mémoire (sur l’eau et l’aluminium)  

    France Nicolino, Planète sans visa

    Il est temps que je vous prévienne, vous les bouffeurs de curés. Je suis chroniqueur au quotidien La Croix depuis 2003, et j’en suis très heureux. J’y écris dans le supplément du mardi, Science et éthique, au rythme d’une fois toutes les six semaines, ce qui n’est pas harassant. Un grand nombre d’entre vous semble avoir regardé le documentaire Du poison dans l’eau du robinet ?, qui vient de passer sur France 3. Cela m’a rappelé quelques souvenirs. Dont la chronique qui suit, et que j’avais écrite dans La Croix du mardi 28 septembre 2004. La voici, cash.

    On arrive un peu tard, après la bataille, après en tout cas l’annonce d’un vaste plan ministériel contre la maladie d’Alzheimer, cette terreur moderne. On arrive un peu tard, mais peut-être bien trop tôt quand même. Pour mieux se faire comprendre, il faut évoquer l’itinéraire saisissant d’un homme rare autant que précieux, Henri Pézerat. Qui est-il ? Un toxicologue, directeur de recherche honoraire au CNRS. Au milieu des années 1970, lorsqu’il travaillait à l’université de Jussieu, il mena un combat acharné, avec quelques autres, contre le flocage par l’amiante des bâtiments, et de proche en proche, pour l’interdiction de son usage.

    Nul ne fit davantage que lui pour parvenir à ce résultat, obtenu en 1997, alors qu’on connaissait les dangers du matériau depuis des dizaines d’années. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes continuent de mourir chaque année en France d’avoir été exposés à ce poison au cours de leur vie.Pézerat est une sorte de Juste, un homme qui a été bousculé, tout au long de sa vie, par les pouvoirs et les institutions. Et qui le leur a bien rendu. Depuis qu’il est à la retraite, il est à lui tout seul un service public. On le questionne, on le sollicite d’un peu partout. Ici - à Commentry, dans l’Allier -, un syndicat lui demande d’éclairer le mystère de 10 ouvriers d’un même atelier atteints d’un cancer rare. Là - à Vincennes - des mères de famille vivant au-dessus d’un ancien site industriel cherchent à comprendre pourquoi plusieurs enfants, parfois très jeunes, sont atteints d’affections exceptionnelles. Il répond, quand il peut, quand il sait, avec prudence, sans jamais oublier qu’il est un scientifique.

    Alzheimer, donc : 800 000 personnes touchées, 165 000 nouveaux cas par an, un cataclysme sanitaire, social, psychologique. Qui ne peut, à court et moyen terme, que s’aggraver : d’ores et déjà, 30 % des plus de 90 ans sont atteints. Henri Pézerat n’est évidemment pas un spécialiste d’Alzheimer, mais il lit à peu près tout ce qui est publié dans le monde sur les liens entre contaminations au sens large et santé publique. En février 2004, il a rédigé une note de six pages qui a aussitôt été adressée à la Direction générale de la santé et à l’Institut de veille sanitaire. Restée sans réponse.

    Que dit-il ? Surtout rien d’arrogant ou de définitif. Il se contente, si l’on ose dire, de rapporter une série d’études épidémiologiques, faites dans six pays différents, et qui concluent à une augmentation notable de l’incidence de la maladie d’Alzheimer quand l’eau de boisson, celle du robinet, contient trop d’aluminium.

    Pas de malentendu : Pézerat ne prétend nullement que l’aluminium serait la cause d’Alzheimer. S’appuyant sur ces études, qui comportent des éléments de preuve, il signale que l’aluminium pourrait être l’un des cofacteurs de la maladie, ce qui serait déjà une nouvelle fracassante. Et il recommande en conséquence l’adoption d’une norme européenne fixant par exemple la concentration maximale d’aluminium dans l’eau de boisson à 50 µg (microgrammes) par litre. Telle était d’ailleurs la valeur guide retenue dans une directive européenne de 1980, jetée depuis aux oubliettes. Le retour à 50 µg d’aluminium par litre au maximum obligerait les deux industries concernées (celles de l’aluminium et celle de la distribution de l’eau) à de considérables efforts : une grande partie de l’eau distribuée en France dépasse largement cette limite toute théorique.

    Que penser de ces menus événements invisibles ? D’abord se souvenir du tabac inoffensif, et du paisible amiante dont des générations de « communicateurs » nous parlaient jadis. Ensuite, se poser des questions, encore et toujours. C’est conforme à la science, c’est nécessaire à l’éthique.


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