• Décroissance

    Porte-parole des décroissants, cet ingénieur milite pour redonner un sens écologique et humain au fonctionnement de la société. (Libération)

    Par CORALIE SCHAUB

    Alors que le pays cherche désespérément la voie de la croissance, Vincent Liegey, coauteur du livre Un projet de décroissance (Utopia, 2013), propose d’autres pistes pour sortir de la crise.

    Prôner la décroissance alors que le chômage explose, n’est-ce pas indécent ?

    La croissance n’assure pas le plein-emploi, c’est un mythe : depuis quarante ans, le PIB a augmenté mais le chômage s’est accru. Ce qui est irresponsable, c’est d’imposer des plans d’austérité aux conséquences humaines dévastatrices et d’espérer le retour de la croissance en fermant les yeux sur l’effondrement écologique. On ne peut pas croître infiniment dans un monde fini.

    Le terme décroissance fait peur…

    C’est un mot provocateur pour ouvrir un débat de fond. Que produit-on ? Comment ? Pourquoi ? La croissance nous impose de produire toujours plus de choses inutiles en épuisant les ressources. Comment en sortir, inventer une société valorisant les relations humaines, un autre rapport à l’outil, la production, la nature ? Ce qui se passe en Amérique latine autour du «buen vivir» [«bien vivre», ndlr] nous intéresse. Ce n’est surtout pas revenir à la bougie. La première des décroissances doit être celle des inégalités.

    Concrètement, comment faire ?

    D’abord sortir de la religion de l’économie. Se réapproprier la création monétaire, ne pas rembourser la part de la dette illégitime, nationaliser tout ou partie du système bancaire, interdire les paradis fiscaux, taxer les transactions financières. Et instaurer un revenu maximum acceptable (RMA), autour de quatre fois le revenu minimum, contre un rapport de 1 à 4 000 aujourd’hui. Parallèlement, nous proposons une dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) afin de garantir à chacun, de la naissance à la mort, une vie décente et frugale. Il ne s’agit pas d’un revenu minimum en euros, mais d’une dotation démonétisée. Un logement pour tous, c’est possible dans nos sociétés riches. Comme une autre répartition des terres agricoles ou une réappropriation du foncier pour installer des ateliers de fabrication, recyclage ou réparation. Certaines ressources doivent être gratuites, dans la limite du nécessaire. La DIA pourrait être versée en droits de tirage. Au début du mois, le compteur de gaz ou d’eau serait négatif d’un certain nombre de m3 définis localement, démocratiquement, en fonction d’une utilisation qui paraît sensée. Nous préconisons aussi des droits d’accès gratuit à des services publics : éducation, santé, transport, culture, information…

    Vous menacez le droit de propriété ?

    Sa remise en cause mène souvent à des systèmes autoritaires. Or, nous voulons une transition démocratique. Le défi est d’ouvrir un débat pour rénover ce droit quand il s’oppose au bon sens, à certains droits humains. Cela demandera du temps, du courage politique. Mais le système actuel n’est plus tenable. Expulser ceux qui n’arrivent plus à rembourser leur emprunt à cause de l’austérité, c’est une violence extrême. Une forme d’écofascisme qui pousse les gens vers la misère. A rebours de cette barbarie, de cette récession subie imposée par l’oligarchie, nous proposons une décroissance choisie et démocratique.

    Ne défendez-vous pas une société d’oisifs assistés ?

    Au contraire ! Les gens seront autonomes et responsables. On pourrait parler de société autonome ou conviviale, en référence aux réflexions de Cornelius Castoriadis et d’Ivan Illich. L’idée est de se libérer de l’asservissement à un travail subi qu’on connaît depuis la première révolution industrielle dans les systèmes capitaliste comme communiste. D’aller vers des activités volontaires et épanouissantes, se réapproprier son choix de vie, ses productions, ses solidarités. De tendre vers bien plus de démocratie, au sens noble : les décisions sont prises collectivement, localement, par les personnes concernées.

    N’est-ce pas un repli sur soi ?

    Surtout pas. Nous voulons une relocalisation ouverte. Il faut produire localement - cela a un sens écologique et humain -, mais garder les frontières ouvertes pour les biens et surtout pour les personnes : voyages et rencontres favorisent le bien-être et la culture.

    Vous comptez sur «une forte adhésion de tous». Vous rêvez un peu, non ?

    La transition est déjà en marche. De plus en plus de gens, piégés par l’endettement, un travail stressant et l’obsolescence programmée des objets, se rendent compte de l’absurdité du système. Et les alternatives se multiplient à toute vitesse : circuits courts, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne [Amap], monnaies locales, permaculture… Au quotidien, les citoyens s’organisent des espaces de liberté, expérimentent de nouvelles manières de vivre ensemble. Les plus jeunes s’approprient les techniques de communication non violentes, on l’a vu avec des mouvements comme les Indignés. Nous restons archiminoritaires, mais la dynamique est intéressante. Il suffirait de peu pour que l’on bascule.

    Les résistances sont fortes…

    C’est vrai de la part des élites. Enfermées dans le mythe de la croissance, elles affirment qu’il n’y a pas d’alternative. Elles défendent leurs privilèges.

    Quid du financement ?

    L’argument comptable est fallacieux. Regardez la nourriture : on en produit bien plus que nécessaire et un milliard de personnes souffrent de malnutrition. Il s’agit d’un problème d’organisation, de priorités. L’enjeu est de faire payer le vrai prix écologique et humain des choses. On ne côtoie pas les enfants qui ont fabriqué nos baskets en Chine. Dans une société relocalisée, on verrait les conséquences de nos achats.

    In fine, utopie ou pas ?

    La pensée est une utopie. Il faut être humble, avoir assez d’humour pour comprendre que c’est un dessein. Ne pas tomber dans le dogmatisme, vouloir créer l’homme parfait pour la société parfaite, mais se dire «tiens, je serais plus heureux si j’allais dans cette direction». Changer d’imaginaire.


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