• Attention ces images peuvent choquer.


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  • Interview Par Sonya Faure 27 mars 2016

    «Faire de l’islam l’ennemi absolu, c’est organiser le marketing de Daech»

    Depuis le 13 Novembre, l’état d’urgence restreint les libertés publiques, sans grand résultat pour notre sécurité. Le gouvernement devrait utiliser les salafistes dans la lutte contre le djihad, plutôt que les poursuivre.

    L’état d’urgence et les mesures sécuritaires exceptionnelles nous protègent-ils efficacement du terrorisme ? Non, selon le philosophe et sociologue Raphaël Liogier, pour lequel nous avons gagné la restriction de nos libertés, sans la sécurité. L’auteur de La Guerre des civilisations n’aura pas lieu (CNRS Editions) dessine pour Libération ce que pourrait être une politique sécuritaire efficace.

    Attentat après attentat, la même question revient : faut-il encore monter d’un cran la sécurité, au risque de rogner nos libertés ?

    Cessons d’opposer l’exigence de sécurité et le respect des libertés publiques. En des temps effectivement troublés, on pourrait opter pour des mesures efficaces en matière de sécurité – moi aussi, je veux que mes enfants aillent à l’école sans risquer leur vie  – sans pour autant remettre en cause les droits de l’homme. Le problème, depuis le 13 novembre, c’est qu’on a les restrictions des libertés, sans la sécurité. (Photo DR)

    Pourquoi les mesures prises jusqu’ici ont-elles échoué, ­selon vous ?

    Le gouvernement, et il n’est pas le seul, met en scène la «guerre des identités» pour donner l’impression aux populations angoissées qu’il fait quelque chose. On l’a vu avec le débat sur la déchéance de la nationalité. Il concentre aussi toutes les mesures sécuritaires – perquisitions, surveillance, assignations à résidence  – sur des mosquées ou des personnes liées à l’islam fondamentaliste. C’est une solution de facilité, qui diffuse une idée fausse : il y aurait un lien de causalité nécessaire entre la radicalisation religieuse et le jihadisme. Or, nous savons que ces mosquées salafistes et leurs représentants, comme Abou Houdeyfa [l’imam de Brest, dont les prêches connaissent un grand succès sur Facebook et pour lequel «la musique fait naître le mal», ndlr], sont eux-mêmes dans le viseur de Daech ! Contrairement aux jihadistes, ces fondamentalistes sont focalisés sur la vie quotidienne et les mœurs, ils sont complètement dépolitisés. En concentrant la lutte antiterroriste contre eux, le gouvernement ne vise pas les bonnes personnes ni les bons espaces.

    La preuve avec les attentats de Bruxelles : selon les premières informations policières, les kamikazes étaient connus pour des faits de grand banditisme, pas pour un parcours de radicalisation religieuse. En résumé : non seulement le gouvernement ne vise pas les bons suspects, mais en faisant de l’islam l’ennemi absolu, il organise le marketing de Daech, vers qui se tournent les désaxés, comme on l’a vu devant un commissariat de Barbès, à Paris, en janvier, les désocialisés ou les membres du banditisme reconvertis. La «guerre des civilisations», c’est exactement la vision du monde que promeut Daech.

    Le terrorisme n’aurait donc rien à voir avec la religion ?

    Je ne dis pas cela. Je ne cherche pas à dédouaner l’islam, ni à faire de l’angélisme. Mais je pense que le jihad n’est plus, aujourd’hui, le résultat d’un processus de radicalisation religieuse progressive qui mènerait du salafisme vers le jihadisme. Les «longues barbes», qui cherchent à ressembler aux Bédouins du VIe siècle, sur lesquels les services de police concentrent leur surveillance, peuvent bien sûr être inquiétants dans leur rapport aux mœurs ou leur communautarisme. Mais ce ne sont pas les prêches qu’ils écoutent qui mènent au terrorisme. Pour le gouvernement, il est confortable de favoriser la confusion. D’abord, je l’ai dit, parce que ça permet de montrer qu’on fait quelque chose. Mais aussi parce que la radicalisation religieuse était effectivement le modèle du jihadisme des années 90. Un phénomène qu’on a déjà connu, plus facile à repérer, ça rassure. A l’époque, les terro­ristes étaient liés à l’islamisme : ils avaient une vision politique de l’islam finalement proche de l’extrême gauche : une logique révolutionnaire d’intervention armée, anticapitaliste, qui voulait changer la société. Les «têtes pensantes», comme les petits soldats de ce jihad, s’étaient plongées aux racines de l’islam. Mais dans les années 2000, deux phénomènes distincts sont apparus – qui peuvent parfois se recouper. D’un côté, un fondamentalisme extrême des mœurs, celui des femmes intégralement voilées par exemple. Une démarche radicale mais dépoli­tisée, individualiste et non prosélyte : si elles optent pour un tel mode de vie, c’est justement pour se distinguer des autres.

    De l’autre côté, des jeunes issus des quartiers, de milieux peu religieux, qui n’ont pas accès à l’arabe classique. Ils sont excités par ce qu’on leur présente comme une guerre des identités, pas par la théologie. Ce sont eux, les clients potentiels de Daech. Dans un deuxième temps seulement, ils construisent une «religion du jihad», à l’aide de ce que leur proposent les hauts responsables de Daech. Ceux-là, des anciens d’Al-Qaeda, détiennent une vraie culture religieuse, et manipulent une chair à canon souvent issue du petit caïdat. Quant aux milieux salafistes, il faudrait les utiliser dans la lutte contre les jihadistes au lieu de les poursuivre.

    C’est-à-dire ?

    En les mettant en garde à vue ou en les assignant à résidence pour «faire du chiffre», les services de police se privent d’informateurs. Car, si ce n’est pas l’intensification des pratiques qui mène progres­sivement vers le jihadisme, les jeunes tentés par le jihad peuvent, en revanche, fréquenter une mosquée salafiste à un moment ou à un autre de leur parcours, pour se donner une posture, chercher quelques points de doctrine. En ciblant ces milieux, la police se prive donc d’un véritable réseau d’information au cœur du milieu musulman.

    Sécurité et libertés ne s’opposent pas immanquablement, selon vous. Quelle serait alors une politique efficace du point de vue de la sécurité et respectueuse de nos droits fondamentaux ?

    Ce serait une politique qui commence par coordonner les renseignements policiers et militaires à l’échelle de l’Union européenne. Si nous sommes en guerre, alors il faut commencer par être plus discrets, et ne plus nourrir les discours de Daech, en faisant de grands moulinets avec les bras à la manière de Manuel Valls. Il faut cesser d’envenimer la situation en affirmant qu’antisionisme vaut antisémitisme. Sinon, c’est toute une partie de la population française s’identifiant aux Palestiniens qui va donner plus de crédibilité au «complot juif». Il faut cesser de perquisitionner et d’assigner à résidence les représentants, certes fondamentalistes, d’une ­religion, sans preuves solides, comme le permet l’état d’urgence.

    http://www.liberation.fr/


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  • Belgique : menace sur le nucléaire

    Par Isabelle Hanne  24 mars 2016 - Libération
     

    La Belgique a-t-elle évité de justesse de conjuguer terrorisme et nucléaire ? Un faisceau d’indices, des noms qui apparaissent en relation avec les attentats de Paris, la fusillade de Forest et les attaques de Bruxelles, et une étrange vidéo qui fait le trait d’union, vont en tout cas dans ce sens. Dans les heures qui ont suivi les attentats de mardi, avec le passage au niveau 4 de la menace au niveau fédéral, «les personnels non essentiels au fonctionnement de la centrale ont été invités à quitter les sites de Tihange [en Wallonie] et Doel [côté flamand]», les deux centrales du pays, explique-t-on à Engie, l’entreprise française dont la filiale Electrabel exploite ces sites. Et selon la RTBF, onze personnes viennent de perdre leur autorisation d’accès à la centrale nucléaire de Tihange : sept après la fusillade de Forest, le 16 mars, et quatre depuis les attentats de mardi. Selon une source interne à la centrale contactée par Libération, ces retraits concernent en fait moins de onze personnes et uniquement des sous-traitants. Le gendarme belge du nucléaire, l’Agence fédérale de contrôle du nucléaire (AFCN), confirme le retrait de quatre habilitations la semaine passée, «sans lien avec les attentats» de mardi, précise son porte-parole Sébastien Berg.

    L’inquiétude n’est pas nouvelle. Les enquêteurs belges s’étaient bien gardés d’en faire la publicité : au lendemain des attentats de Paris, une vidéo d’une dizaine d’heures est retrouvée lors d’une perquisition dans le cadre du volet belge de l’enquête, menée au domicile de Mohamed Bakkali, 28 ans. Il est arrêté à Bruxelles peu après les attaques du 13 Novembre et considéré comme l’un des logisticiens de la cellule de Molenbeek. Sur les images, un plan fixe de porte d’entrée d’un domicile. L’existence de cette vidéo a été révélée fin février par la presse belge, et confirmée par le parquet fédéral. Les enquêteurs ont réussi à localiser le domicile et à identifier la personne visée grâce à un bus qui passait par là. La caméra, planquée sous un buisson, enregistrait les allées et venues d’un haut responsable du Centre de recherche nucléaire de Mol, doté d’un réacteur expérimental et d’une petite quantité d’uranium. Sur des images de vidéosurveillance, on voit deux hommes venus récupérer la caméra. Le quotidien belge la Dernière Heure avançait jeudi qu’il s’agirait des frères El Bakraoui, Ibrahim et Khalid, deux des kamikazes des attentats de mardi. Pour l’instant, le parquet ne confirme pas. Et Engie se refuse à tout commentaire. Mais il y a d’autres imbrications. Dans son «testament» révélé par le parquet fédéral mercredi, l’un des frères, Khalid El Bakraoui, fait référence à Mohamed Bakkali. Or, c’est précisément chez ce dernier que la vidéo du cadre de Mol a été retrouvée.

    Avant les attentats de cette semaine, et malgré l’existence de la vidéo, au ministère belge de l’Intérieur, on était ferme : «Il n’y a pas de menace spécifique pour l’instant sur les sites nucléaires belges», affirmait début mars la porte-parole Anne-Laure Mouligneaux, en précisant que ces sites sont «en vigilance renforcée» depuis les attentats de Paris.

    Le ministère s’appuie sur l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), chargé d’évaluer les risques en matière de terrorisme. Et pour la vidéo du haut responsable de Mol, «l’Ocam a estimé que la menace portait sur la personne, et pas sur les installations». Rideau.

    «Politique des quatre yeux»

    Pourtant, la Belgique a déjà connu des histoires associant nucléaire et terrorisme. En 2013, un ingénieur de Doel 4, l’un des réacteurs de la centrale située près d’Anvers, avait été licencié pour radicalisation : il refusait de serrer la main de sa supérieure. «Il n’était plus conforme aux valeurs d’Electrabel», dit-on chez l’électricien.

    Un an plus tard, en août 2014, le même réacteur, Doel 4, subissait le sabotage d’une turbine. Toujours pas élucidé à ce jour. L’enquête est rapidement passée aux mains du parquet fédéral : la piste terroriste est sérieusement envisagée. «Dans le hall de Doel 4, on a volontairement vidé 65 000 litres d’huile qui sert à lubrifier la turbine - normalement, la vidange se fait en cas d’incendie - puis on a remonté la vanne pour faire croire que tout était en règle, détaille Eloi Glorieux, l’expert nucléaire de Greenpeace Belgique. Les caméras de surveillance avaient été tournées de l’autre côté : la preuve que ce n’était pas un acte impulsif, ni l’œuvre d’une seule personne.» Cette vidange a provoqué de gros dégâts sur la turbine de Doel.

    Cette centrale, posée sur un polder au bord de l’Escaut, est implantée en plein poumon économique du pays : ses tours de refroidissement font face aux conteneurs et aux usines pétrochimiques du port d’Anvers. Avec 1,5 million d’habitants dans un rayon de 30 km, c’est la centrale nucléaire située dans la région la plus densément peuplée d’Europe. «Ce sabotage aurait pu provoquer une vraie catastrophe, commente le député et chef du groupe écologiste au Parlement, Jean-Marc Nollet. On a eu de la chance, d’une certaine manière…»

    Plus d’un an et demi plus tard, il n’y a eu aucune interpellation dans le cadre de cette enquête. Le sabotage de Doel 4 a tout de même poussé Electrabel et le gendarme du nucléaire belge, l’AFCN, à imposer deux nouvelles mesures au sein des centrales : la «politique des quatre yeux» oblige les travailleurs à se déplacer à deux dans les parties sensibles de la centrale. Et il est interdit de garder son téléphone portable dans les zones techniques de la centrale, nucléaires ou non. Fin janvier 2016, le journal l’Echo révélait que l’ingénieur de Doel licencié en 2013 était le beau-frère d’Azzedine Kbir Bounekoub, un jihadiste de l’organisation Sharia4Belgium, très implantée à Anvers. Né en 1992, il avait quitté la Belgique pour rejoindre les rangs de l’Etat islamique en Syrie dès 2012, sous le nom d’Abu Abdullah. Il est notamment connu pour avoir appelé plusieurs fois à commettre des attentats sur le sol belge.

    La sécurité des centrales belges est discutée au niveau local, lors de comités de suivi qui réunissent bourgmestre, police, exploitant… Au niveau fédéral, c’est l’Autorité nationale de sécurité (ANS), dont la mission est de protéger toute information classifiée, qui se charge de délivrer les habilitations aux employés et entreprises sous-traitantes des sites sensibles (aéroports, Otan, mais aussi certaines parties des centrales, considérées comme «zones classifiées»…). «Cette habilitation est accordée ou non après une très profonde enquête de sécurité qui prend plusieurs mois, et qui est menée par tous les services de l’autorité collégiale [services de renseignement du pays, police judiciaire, police fédérale, AFCN, ndlr]», explique la présidente de l’ANS, Claudia de Maesschalck. L’Autorité réalise ensuite un contrôle tous les cinq ans, ou plus tôt «s’il y a de nouveaux éléments», rapporte sa présidente. Selon elle, environ 1 % des demandes sont refusées. Un critère rédhibitoire ? «Lorsqu’il y a une enquête judiciaire en cours contre la personne, affirme Claudia deMaesschalck. Nous ne menons pas une procédure pénale, mais une évaluation du risque. Ce n’est pas une science exacte, on n’utilise pas un algorithme.»

    Et quand il y a des éléments de radicalisation ? «La radicalisation fait partie de nos critères comme tout élément de droit commun. On est libre d’avoir la confession qu’on veut, c’est seulement quand il y a des éléments de prosélytisme dur ou d’extrémisme que l’on dit non. On ne refuse jamais pour raison religieuse, mais parce que l’intégrité de la personne n’est plus garantie.»

    Société privée de gardiennage

    Depuis les attentats de Paris, et le démantèlement de la cellule de Verviers, en Belgique (soupçonnée de préparer des attentats contre les forces de police), l’AFCN dit avoir «renforcé les mesures de sécurité dans et autour des sites nucléaires». En Belgique, cela représente quatre zones : les deux centrales de Doel et Tihange, le centre de recherche de Mol et l’Institut des radioéléments de Fleurus, un laboratoire de production de radio-isotopes à usage médical. «Il n’y a pas de risques avérés sur les sites nucléaires belges, insistait fin février Sébastien Berg, le porte-parole de l’AFCN. Mais on fait de la prévention, et ce qu’on a mis en place est suffisant pour prévenir un acte malveillant.»

    Une attaque terroriste dans une centrale nucléaire, le délégué syndical Gazelco à la centrale de Tihange, Jean-Marc Pirotton, n’y croit pas. «Ce n’est pas une personne qui, avec des explosifs, va réussir à faire sauter la centrale ! s’exclame-t-il, attablé dans une brasserie de Huy, la commune dont dépend Tihange. C’est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a tellement de niveaux de sécurité et de contrôles, il faudrait de telles compétences, de telles connaissances des lieux, que ça me paraît hautement improbable. Bien sûr, il y a toujours moyen de faire mieux…» Le syndicaliste raconte sa récente visite d’une centrale allemande, avec «ses douves creusées tout autour, ses poutrelles antichar, ses dispositifs de fumée artificielle pour cacher le site, ses bases de canons antiaérien… Nous n’avons pas tout ça. Et les centrales belges n’ont pas été conçues pour résister à la chute d’un gros avion, mais aux avions de l’époque.»

    Ce n’est pas là la moindre des particularités du nucléaire belge. Là où la France a installé des pelotons de gendarmerie spécialisés dans ses centrales(lire l’encadré), la Belgique confie la sécurité de ses sites nucléaires à une société privée de gardiennage, G4S. Les gardiens n’ont pas le droit d’interpeller et doivent se contenter de contacter la police locale en cas d’incident. «Ils sont dépourvus de moyens légaux, ne sont pas armés : ils ont les mêmes prérogatives que n’importe quel citoyen» , remarque le commissaire Jean-Marie Dradin. A sa demande, ce numéro 2 de la police de Huy a effectué fin 2015 des stages à Tihange et dans la centrale française de Chooz (Ardennes), pour «parfaire [ses] connaissances sur le fonctionnement de la sécurité». Et améliorer la communication entre la société de gardiennage et la police locale, qui est en première ligne pour intervenir sur la centrale.

    Il a ainsi pu évaluer les deux systèmes : «La sécurité de la centrale n’est pas en péril à cause de l’absence de militaires ou de policiers ! Mais fort de l’expérience française, je peux dire que c’est un plus.» Jusqu’au milieu des années 90, les centrales belges étaient d’ailleurs surveillées par des militaires.

    L’an dernier, l’ancien bourgmestre socialiste de Huy, Alexis Housiaux, avait tiré la sonnette d’alarme après le démantèlement de la cellule de Verviers pour demander que l’armée ou la police fédérale surveille à nouveau ces sites. «Je trouve anormal que l’armée patrouille en ville, protège les centres commerciaux mais pas les centrales, remarque celui qui fut en fonction jusqu’en janvier. Mais le ministère de l’Intérieur ne m’a pas donné raison, considérant qu’en Belgique, l’armée n’a pas une mission de police sur le sol belge. S’il y a vraiment des terroristes qui arrivent avec des intentions belliqueuses, ils entreront dans la centrale. Ils n’iront pas dans les parties nucléaires, mais ils pénétreront dans l’enceinte.»

    Greenpeace a d’ailleurs montré à plusieurs reprises qu’il était possible de s’introduire sur le site et de rester sur le dôme d’un réacteur «avec des moyens non violents», insiste Eloi Glorieux. Fin 2015, le gouvernement belge a finalement acté la création de la Direction surveillance et protection, un corps de police fédérale qui sera chargé de protéger entre autres les tribunaux et les sites nucléaires, jusqu’à la menace de niveau 3. Au-delà, c’est l’armée qui prend le relais. «Pour l’instant, nous en sommes au stade des groupes de travail, ça prendra encore quelques mois», précise la porte-parole du ministère de l’Intérieur.En attendant, 140 militaires sont déployés depuis la semaine dernière sur les sites nucléaires belges - une mesure donc mise en place avant les attentats.

    Mais la menace pourrait surtout venir de l’intérieur. Les centrales de Tihange et de Doel emploient chacune un millier de titulaires, et environ 500 sous-traitants : gardiens, magasiniers, techniciens… Dans les zones administratives, comme dans les zones sensibles. «Les salariés d’Electrabel sont analysés de manière profonde, tandis que dans certains cas, les sous-traitants ne sont soumis qu’à un "screening" rapide, affirme le délégué syndical Gazelco de la centrale de Tihange, Jean-Marc Pirotton. Dans ce cas, c’est l’officier de sécurité de la centrale qui donne ou pas son autorisation. C’est comme si dans un avion, on contrôlait à fond le pilote, les copilotes, les membres d’équipage et de cabine, mais qu’on laissait entrer n’importe quel passager ! A Tihange, on a un agent sous-traitant qui a perdu son habilitation pour radicalisation il y a deux mois…»

    Claudia de Maesschalck, qui ne «commente pas les cas individuels», assure que «les mesures de sécurité sont les mêmes pour les titulaires ou les sous-traitants», mais invoque la «logique économique : une habilitation, c’est six à neuf mois d’attente… Mais à la fin, tout doit avoir l’aval de l’ANS».

    Les faiblesses d’un processus

    Une fois par an, lors des révisions techniques, de nombreux spécialistes de l’extérieur peuvent venir travailler seulement quelques jours dans la centrale. «Cela peut être des centaines de personnes en plus, on n’a pas le temps de faire faire un vrai "screening" [contrôle, ndlr], qui peut prendre un an, raconte un technicien de Doel. La règle impose qu’ils ne soient jamais seuls dans la centrale, mais s’ils sont trop nombreux, c’est impossible de les surveiller.» Le porte-parole de l’AFCN, Sébastien Berg, défend ces mesures : «Les procédures ne sont pas moins fiables, elles sont simplement plus rapides. Certaines personnes doivent pouvoir intervenir dans un délai de quelques jours, parce qu’elles sont spécialisées sur un équipement.»

    Claudia de Maesschalck le reconnaît : «On ne peut jamais être blindé contre le risque. On peut le gérer, le minimiser, tout en cherchant le juste équilibre entre droits de l’individu et sécurité de l’Etat. C’est un processus très fin, très judicieux.» Qui peut avoir ses faiblesses, comme l’illustre le cas d’Ilyass Boughalab. Originaire du quartier anversois de Borgerhout, ce jeune homme né en 1988 a travaillé pendant trois ans comme technicien pour le sous-traitant Vinçotte, à Doel, et fournissait des certificats de conformité à la centrale. Il avait ainsi accès à la partie nucléaire du site, alors qu’il était connu des services de police pour comportement violent. Il est parti en Syrie en novembre 2012, où il est mort en mars 2014.

    Côté français, un contrôle renforcé

    En France, pays le plus nucléarisé du monde, «on a pris en compte la menace terroriste», clament Areva et EDF. La protection des sites contre ce risque «a été intégrée depuis le démarrage des centrales», note un porte-parole d’EDF, qui exploite les 19 centrales françaises. Après le 11 Septembre puis les attentats de 2015 à Paris, «les pouvoirs publics ont renforcé les dispositifs existants», ajoute-t-il. Pierre angulaire du dispositif, la présence «24 heures sur 24» de 800 hommes du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG), formés par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et répartis dans les 19 centrales. «Mais avec les 3 × 8, les vacances, etc., il n’y a que 4 ou 5 gendarmes sur site en permanence…» tempère Yannick Rousselet, de Greenpeace. A quoi s’ajoutent vidéosurveillance, portiques, gardiennage, «bunkerisation» du site en cas d’intrusion… Face à la menace intérieure, chaque année «100 000 enquêtes administratives» sont réalisées sur les salariés d’EDF et intervenants extérieurs avec pour résultat la mise à l’écart de quelque 700 personnes se voyant refuser l’accès aux établissements. Depuis les attentats de Bruxelles, «pas d’évolution» par rapport au dispositif mis en place depuis janvier 2015, dans le cadre du plan Vigipirate : on reste en vigilance renforcée. Reste que «si on veut entrer dans une centrale, on y entre», garantit Yannick Rousselet, pour qui la pire menace vient du transport de combustible et de déchets nucléaires.

    http://www.liberation.fr/planete/2016/03/24/belgique-menace-sur-le-nucleaire_1441874


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  • La stratégie de Daech pour miner l’Occident de l’intérieur

     

    Dans un cocktail étonnant de professionnalisme et d’amateurisme, la mouvance terroriste déploie ses opérations par le biais de petites cellules djihadistes disséminées dans les pays dits « croisés ».

     

    C’est un pavé de 1600 pages, diffusé sur le Web dès 2004 et que certains experts qualifient de « Mein Kampf du djihadisme ». Intitulé l’Appel à la résistance islamique globale et sous-titré Votre guide sur le chemin du djihad, il a des airs de méthode Assimil ou de topo de formateurs en entreprise.

    Son auteur, l’Hispano-Syrien Abou Moussab al-Souri (« le Syrien »), un ingénieur ancien cadre d’al-Qaida, y décrit ce qui semble être aujourd’hui le plan de bataille de l’État islamique (EI) : une stratégie de conquête étonnamment moderne, à la fois pragmatique et souvent délirante, dont l’outil principal est la provocation. Décryptage.

    Un système collaboratif

    Dans son « appel », al-Souri, djihadiste de la première heure, tire les leçons des erreurs du passé. Al-Qaida était une organisation pyramidale qui a pâti de la mort ou de l’emprisonnement de ses leaders ? Il élabore un système fondé sur des petites cellules installées dans les pays « croisés », occidentaux. Celles-ci regroupent des djihadistes qui adhèrent à un même corpus de croyances, sont engagés sous une même bannière, mais qui n’appartiennent pas à une organisation à proprement parler. Pour reprendre le jargon des ressources humaines, al-Souri propose un management en réseau plutôt que vertical.

    L’ingénieur conseille également de combiner local et global : un djihad global sur un territoire où est menée la guerre sainte, qu’il nomme le « front ouvert » – aujourd’hui la zone contrôlée par Daech, à cheval entre la Syrie et l’Irak – et un djihad individuel mené au cœur des pays occidentaux. Le front ouvert fournit le matériel, des camps d’entraînement et, s’il le faut, une zone de repli à des individus qui, eux, mènent des actions dans leur pays de résidence grâce aux possibilités d’« autoformation » qu’offre aujourd’hui le Web.

    L’initiative spontanée valorisée

    « Chaque brigade se forme elle-même, choisit sa cible seule et l’attaque, puis revendique l’action auprès des médias », écrit al-Souri. Celui-ci encourage même la compétition entre les groupes, les priant de bien tenir le compte des actions menées, le nombre des martyrs tombés par exemple, afin de favoriser l’émulation… Une stratégie qui expliquerait le cocktail étonnant de professionnalisme et d’amateurisme constaté lors des opérations passées, ceux qui se décident à agir n’étant pas forcément les « meilleurs » éléments de la mouvance. Comme lorsqu’en août dernier un terroriste a voulu mitrailler les voyageurs d’un train Thalys, avant d’être maîtrisé rapidement par des militaires américains en vacances.

    Qu’importe les ratés, l’objectif est de déstabiliser le pays choisi, grâce à la multiplication de ce type d’action, par capillarité. « Il s’agit de transformer des initiatives prises, dans le passé, de façon spontanée en un phénomène qui devienne alors la lutte de l’ensemble de l’oumma (la communautés des croyants musulmans, NDLR) et non pas celle d’une simple élite », écrit al-Souri.

    Le principal objectif de ce « djihad de proximité », selon l’expression du politologue Gilles Kepel, est de provoquer des représailles : faire monter une islamophobie massive qui inciterait en réaction les musulmans à se soulever contre le reste de la population. L’ambiance de guerre civile ainsi créée faciliterait la conquête du territoire. « Dans la classification de Souri, ces attentats à caractère dispersé appartiennent à une première phase, qu’il nomme “guerre d’usure” et dont le but est de déstabiliser l’ennemi. Une deuxième, celle de “l’équilibre”, voit les cellules attaquer systématiquement l’armée ou la police, en pourchasser et exécuter les chefs, s’emparer des zones qu’il est possible de libérer. Pendant la troisième, la “guerre de libération”, les cellules se basent sur les zones libérées pour conquérir le reste du territoire, tandis que derrière les lignes ennemies continuent assassinats et attentats, qui achèvent de détruire le monde de l’impiété », écrit Gilles Kepel dans son livre Terreur et martyre, relever le défi de civilisation (Flammarion).

    L’instauration d’un califat

    D’autres écrits confirment cette stratégie sur le long terme. C’est le cas de Gestion de la barbarie, publié sur le Web en 2004 et dont l’auteur, Abu Bakr Naji, ancien cadre d’al-Qaida lui aussi, décrit avec précision les phases nécessaires à l’instauration d’un califat islamique dans le pays visé : une série d’actions d’intensité croissante finissent par décrédibiliser l’État central, qui en vient à délaisser des zones entières de son territoire pour concentrer ses forces sur des points stratégiques.

    Livrés à la loi de la jungle, la « barbarie » du titre, les populations abandonnées se laissent plus facilement contrôler par les djihadistes et finissent même par accepter l’instauration de la charia, promesse d’ordre dans le chaos.

    La prophétie apocalyptique

    Mais l’apparente rationalité de ces textes ne doit pas faire oublier la folie djihadiste. À cette stratégie de conquête s’ajoute une propagande intense autour de l’apocalypse. Au centre du discours eschatologique de Daech, il y a Dabiq, une petite ville syrienne proche de la frontière turque, au nord d’Alep. Le nom de cette ville est connue de tous les djihadistes. C’est même le titre de leur principal magazine de propagande en anglais. C’est là où devrait se jouer la scène la plus importante de l’apocalypse, selon certaines traditions relatives aux actes et aux paroles du prophète Mahomet (hadiths) : la bataille du Jugement dernier entre les musulmans et les « roums », les Byzantins et les chrétiens. Aujourd’hui, de nombreux combattants de Daech sont convaincus que cette bataille aura lieu et qu’elle verra la victoire des musulmans sur les « roums ».

    Et là encore, la stratégie vis-à-vis des Occidentaux est la provocation : il s’agit de pousser leurs armées à intervenir sur le terrain. Le journaliste et ancien otage de Daech Nicolas Hénin raconte ainsi dans son livre Jihad Academy (Fayard) que la plupart des djihadistes de l’EI ont accueilli la nouvelle des bombardements occidentaux avec joie : pour eux, cela prouvait que la prophétie était en train de s’accomplir.

    Que faire alors pour contrer cette stratégie ? Se garder sans doute de deux attitudes : croire que Daech ne serait qu’un phénomène irrationnel, sans stratégie, une organisation de fous furieux ; ensuite, prétendre au contraire qu’il planifie tout sur le très long terme. La vérité est entre les deux. Or, choqués par les attentats, nous avons tendance à ne plus penser le phénomène djihadiste. « Il y a une sorte de fascination pour leur propagande. Nous sommes happés, sidérés par leurs vidéos, comme devant un film d’horreur. Il nous faut sortir du mythe et toujours revenir à la réalité », explique Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak.

    Il faut aussi lutter contre leur vision du monde. « Au centre de celle-ci se trouve la croyance selon laquelle les autres communautés ne peuvent pas vivre en harmonie avec les musulmans », écrit Nicolas Hénin dans une tribune publiée dans The Guardian le 19 novembre. Et de conclure : « Nous devons impérativement rester forts et résilients, puisque c’est ce qu’ils craignent. Je les connais : nos bombardements, ils les attendent. Ce qu’ils craignent, c’est notre unité. »


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  • Aujourd'hui la guerre en Syrie a 5 ans!


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